Extrait des Aventures amoureuses d'une princesse russe

De BiblioCuriosa

Extrait de / Excerpt from : Les Aventures amoureuses d'une princesse russe.


Une barque attardée rentrait péniblement au port. La même idée traversa nos deux cerveaux :

« Voulez-vous que nous sortions, lui dis-je ? »

Un éclair de joie zébra ses prunelles.

— Venez !

Cinq minutes plus tard, m'efforçant à maintenir l'équilibre de notre barque sur les flots insensés, je mesurais la folie de ma proposition. Une lame un peu forte eût suffi à nous briser contre la falaise. Nous serions morts d'une mort bête, sans gloire, même sans l'amour. Mais j'avais refusé d'entendre les conseils des marins, une même fureur mortelle nous possédait, cette femme et moi. J'étais ivre d'avoir senti sa chair sous ma bouche. Les énergies que déchaîne toujours une tempête, l'électricité de l'air chargeaient mon sang. J'avançais difficilement le long de la muraille rocheuse, qui nous aurait sans doute mis en miettes si une lame de fond ne nous avait enlevés sur son large dos, pour nous lancer en lieu sûr. Au-dessus de notre tête s'élevait à présent le sombre dôme d'une grotte. Un rideau liquide incessamment levé et baissé voilait l'étroite ouverture. Nous ignorions si cette grotte allait être notre asile passager ou notre tombeau. Nous n'y songions pas, protégés, gardés, seuls au monde, inviolables au cœur de la tempête. Combien de temps restâmes-nous là, serrés l'un contre l'autre, la main dans la main, sans bouger ?

Chaque remous caressait nos corps d'un frisson où entrait toujours un peu plus de désirs. Chaque fois que l'onde nous rapprochait l'un de l'autre nous laissions monter et fleurir en nous la volupté, comme du fond mystérieux de l'océan monte une algue flottante, lentement attirée vers le soleil. Enfin une vague plus forte nous heurta presque brutalement l'un contre l'autre, et la volonté de la mer fut faite, cette volonté d'amour qui avait déchaîné l'orage et enflé les flots, qui avait troublé les profondeurs du ciel et les gouffres marins, pour qu'un homme blasé et une femme vicieuse connussent enfin, sur le sable odorant et le varech amer, cette étreinte qui abolit la mémoire et purifie les gestes.

Plus tard nous devions accorder nos corps comme des instruments de jouissance et demander des harmonies étranges et nouvelles aux raffinements aigus et délicieux dont l'homme assaisonne et complique son plaisir. Alors sans doute fûmes-nous pervers — je le comprends maintenant car la conscience du vice est toujours rétrospective. Mais jamais nous n'en fûmes aussi loin, jamais aussi innocents, aussi purs presque qu'en cette extase première où nos corps s'apprenaient. Le frisson sacré nous secoua dans toute son originelle grandeur. Nous nous sentions des dieux marins émergés de l'onde pour abriter sur le doux sable, sous cette voûte fraîche, la candeur de leurs premières étreintes, où encore nous étions semblables à de grands animaux sans méfiance, sans méchanceté, libres possesseurs de leur antre, qui se roulent, se mordent, se jouent en mouvements gracieux et confondus.



Texte intégral avec la couverture illustrée en format PDF en vente chez Eros-Thanatos