Extrait de Gringalette

De BiblioCuriosa

Extrait de / Excerpt from : Gringalette.


« Par excès de zèle, peut-être aussi par vengeance, car j’ai su qu’il avait eu à se plaindre autrefois de la comtesse, Santousky l’avait soumise à une de ces corrections privées, qu’on n’administre plus guère qu’à des filles révoltées, en état d’ivresse ou coupables d’avoir frappé un policier. A un coup de sonnette, le gardien qui se trouvait dans le sous-sol avait fait descendre la trappe du petit salon où Santousky venait de mener la comtesse, de telle sorte que notre belle avait les reins au-dessous du parquet et les épaules au-dessus.

« Je vous assure que je n’ai point assisté à une comédie plus voluptueuse. Figurez-vous, au niveau du plancher, cette tête jeune et aimable dont l’effroi élargissait les yeux et rapetissait le front, la bouche entr’ouverte montrant les dents fines et claires, et le contraste surprenant d’une expression d’épouvante et d’une tenue de fête : les cheveux savamment crêpés, en boucles sur les tempes, en casque par derrière, illuminés de diamants ; le cou entouré d’un collier de quatre rangs de perles ; les bras cerclés de bracelets ; les doigts chargés de bagues étincelantes, et les traits figés de la face, les crispations des mains, et ce sein soulevé d’émotion ! Santousky, les mains collées aux genoux, se penchait sur sa victime et approchait de cette peau nue éblouissante ses souliers mouchetés de boue comme s’il eût voulu en essuyer le cuir sur la chair satinée, comme s’il eût exigé qu’elle y posât ses lèvres !

« Tout à coup ce visage, encore charmant malgré sa frayeur, s’allongea puis se contracta en une série de grimaces comiques : les paupières voilaient à demi et découvraient aussitôt les yeux vagues : comme si la comtesse s’attendait à un éternuement qui ne venait pas. Successivement elle serrait les dents, se mordait les lèvres, poussait un soupir. Enfin le cri qu’elle essayait de retenir s’échappa malgré elle, perçant, lamentable. Les yeux étaient grands ouverts, les sourcils arqués jusqu’aux cheveux et, de la bouche à présent, des hurlements montaient toutes les demi-minutes : il semblait qu’en bas le flagellateur voulût mettre un intervalle assez long entre chaque coup, de manière à produire une douleur lente et successive que doublaient les angoisses de l’attente. Santousky sans doute pressé ou qui était d’une cruauté moins raffinée que son bourreau, me dit :

— Allez donc voir ce que fait cet animal. Je crois qu’il s’endort sur l’ouvrage.

Je descendis dans la pièce qui était au-dessous du petit salon, aussi basse qu’une cave. L'abat-jour d'une lampe était disposé de façon à réserver toute la lumière pour le milieu de la chambre où de petits pieds chaussés de satin blanc se débattaient, se perdaient dans une longue jupe à traîne qui semblait pendue au plafond. Mais je vis, en m’approchant, que les pieds et la jupe reposaient sur la trappe descendue à quelques centimètres du sol et soutenue par quatre fortes chaînes en fer. Derrière, apparut un homme court et trapu, à la barbe bien fournie et qui tenait une verge épineuse à la main.

— Y a pas moyen de fouetter cette gaupe-là, Excellence, me dit-il. La robe est si lourde qu’elle lui retombe à chaque coup sur le derrière.

— Eh bien, dis-je, appelle Serge Paulovitch et Ermeleï Serghéitch. L’un tiendra les pieds et l’autre retroussera les jupons, tandis que tu la cingleras.

« Les deux hommes arrivèrent un instant après. Il y eut un violent soubresaut de la comtesse lorsque Serge lui saisit les jambes ; ses reins alors se tendirent et nous vîmes se dessiner sous la jupe collante le double relief et le creux profond de la croupe ; mais c’est à peine si Ermeleï me laissa le temps d’admirer ce tableau sous son voile à demi-transparent, tant il avait hâte probablement de l’étaler en pleine lumière.

« Quand il releva la robe et les dessous neigeux je crus voir s’ouvrir un riche écrin tandis que se répandait dans l’air une onde de parfums. Déjà rouges et pareilles à deux cornalines séparées par un onyx, apparurent les fesses de la Pougatscheff bien présentées par Serge qui, de la tête, à la façon d’un taureau qui assaille une cavale, lui repoussait le ventre de toute sa force et lui tirait les jambes pour qu’elle offrît largement son derrière aux piqûres des verges. Il n’était point si petit que la mignonne tête de la comtesse l’eût fait prévoir ; l’exercice du cheval l’avait développé, il eût inspiré l’admiration à des hommes moins rudes que ces policiers si la manière dont Serge l’offrait au regard ne lui avait donné un aspect quasi bouffon.

« Cependant les verges se levèrent, la croupe rougit encore, des gouttes de sang perlaient. Sans retenue dans son supplice, la vaste face lunaire s’agitait, et aux senteurs fines d’essence de fleurs qu’exhalaient les pantalons de dentelles, se mêlait une odeur forte et animale. Les mignons souliers blancs de la victime se levaient comme pour prévenir les coups ou implorer ses bourreaux, et retombaient ensuite avec une lassitude désespérée.



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