Extrait de Miriam, sa douloureuse aventure

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Extrait de / Excerpt from : Miriam, sa douloureuse aventure


Esther ouvrit les yeux ; son regard fit le tour de la tente, un peu étrange, un peu égaré. Puis tout à coup, elle se souvint. Elle reprit pied, soudain, dans la réalité.

L'horreur de ce qui venait de se passer et de ce qui allait arriver la saisit toute, en même temps que l’inquiétude au sujet du sort de sa sœur qu’elle croyait seule, abandonnée sans remèdes et sans soins. Et elle gémit dans un flot de larmes : « Ioan !... Miriam ! » Puis, apercevant les éclaboussures de sang — du sang de son fiancé — qui tachaient ses vêtements en loques, elle eut un cri de haine à l’adresse de son ravisseur, qui la regardait en ricanant sinistrement, et, lui montrant le poing, elle lui jeta à la face ces injures, qu’il n’avait certes pas volées :

— Bandit !... Assassin !

— C’est tout ? demande le Turc, en s'efforçant de rester calme et de ricaner toujours.

Puis, son tempérament violent et sadique reprenant le dessus, il hurla :

— Ah ! c'est ainsi que tu me traites, chienne ! Je vais t’apprendre à respecter les officiers de Sa Hautesse le Commandeur des Croyants et te rendre souple en même temps que muette... Abdullah, ici !

A l’appel du maître, le serviteur, sorti d’on ne sait où, apparut. C’était un nègre du Soudan que l'officier avait ramené de la campagne de Tripolitaine (qu’il avait faite sous Enver-Pacha en 1913) et qui lui servait d’ordonnance et surtout d’« âme damnée ».

— Fouette-moi cette « chienne », ordonna le Turc, jusqu’au moment où je te dirai d’arrêter.

Le nègre, qui était un colosse aux manières de brute et à la face bestiale, murmura un mot d’acquiescement et se jeta sur la jeune fille comme une bête fauve sur sa proie.

La malheureuse, serrée entre les bras de l’hercule comme une alouette entre les serres d'un épervier, n’eut même pas le temps d’esquisser un geste de défense, d’ailleurs parfaitement inutile. Les deux poignets broyés comme dans un étau dans une seule main du nègre, elle sentit, à sa grande honte et à son indicible horreur, l’autre main la dépouiller en quelques secondes de ses misérables guenilles, et elle se trouva nue devant les deux monstres — le blanc et le noir — auxquels son atroce destin la livrait.

Mais elle n’eut pas même le loisir d’approfondir sa confusion et de méditer sur le châtiment qui allait lui être infligé.

Le nègre lui liait les mains derrière le dos et l’attachait au piquet central de la tente, la face contre ce piquet ; puis s’armant d’une courbache — le long fouet d’Orient à lanière de cuir dont une partie s’enroule autour du poignet — il se mit à fouetter la malheureuse à tour de bras, sur tout le corps, en commençant par les épaules et le dos, c’est-à-dire par les parties les plus sensibles du côté du corps qu’il avait à sa disposition.

Sous les premiers coups, Esther avait serré les dents, faisant appel à toute sa volonté, à toute son énergie, à tout son stoïcisme pour ne pas donner le spectacle de sa douleur à ses bourreaux. Mais cette énergie native avait été bien déprimée par les privations et les souffrances physiques et morales. De plus, sur son corps amaigri, les coups portaient doublement. C’est pourquoi, malgré de violents efforts pour se dompter, la jeune fille ne put retenir longtemps des gémissements, d'abord, des plaintes plus vives, ensuite, puis des cris rauques, que la douleur de plus en plus insupportable allait peu à peu transformer en véritables hurlements de bête qu’on égorge.

Car, lorsque les épaules et le dos eurent été zébrés en tous sens de profondes striées noirâtres d’où le sang perlait par endroits, le nègre s’attaqua aux jambes puis aux cuisses. Et la souffrance, quoique moins vive, parut aussi atroce à la victime dont le haut du corps était tout meurtri et saignant.

Enfin, le bourreau s’attaqua au bas des reins, et, là, il s’en donna à cœur joie. N’est-ce pas la seule partie du corps qu’on puisse torturer à sa guise sans accidents ? Alors, à quoi bon se gêner ? C’est pourquoi l’homme usa sans ménagement de sa force, faisant craquer cette chair virginale sous des cinglades qui, appliquées sur la tête, eussent été de véritables assommades !

En quelques minutes, la peau de la victime était transformée en peau de tigres aux rayures plus fines et entrecroisées, d’où le sang coulait en longues rigoles minuscules, faisant une petite mare autour des pieds crispés de la malheureuse.

Jamais Esther n'avait si abominablement souffert... Elle ne croyait même pas qu’on put tant souffrir sans mourir. Des épaules aux chevilles, son corps ne lui semblait plus qu’une immense plaie sanglante tour à tour écrasée, broyée, coupée, brûlée, déchiquetée...

Elle avait eu la sensation d’être frappée non seulement avec la courbache mais avec tous les genres d’instruments imaginables. Car, tantôt l’outil de supplice aplatissait sa chair comme un marteau ; tantôt il la taillait comme un sabre ; tantôt, il la brûlait comme une barre de fer incandescente. Et elle avait l’impression que les parcelles de chair arrachées par la violence des coups, tombaient, lambeaux vivants et saignants, autour d’elle. C’était une torture épouvantable, incessante, qui résumait en elle toutes les tortures ; un de ces supplices qui font de ceux qui les subissent des loques humaines à demi mortes, physiquement et moralement incapables de révolte et d’injures et ne songeant plus qu’à demander grâce à leurs bourreaux.

Car c’est à cela qu’Esther en était trop vite arrivée, à son gré. Malgré sa haine de l’assassin de son fiancé, malgré son énergie, malgré sa volonté, malgré son orgueil, la souffrance avait été tout de suite si terrible qu’elle avait dû demander grâce, solliciter, entre ses cris, la pitié et le pardon du monstre qui la faisait torturer ainsi. Sous la douleur intolérable, elle avait perdu tout sentiment d’amour-propre comme toute pudeur et elle s’époumonait en supplications vaines et lamentables, en même temps qu’elle se livrait à des contorsions dont elle eut rougi de honte, à un autre moment.




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