Extrait de Contes paillards

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''Erreur d’étage''
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''Erreur d’étage'', par [[Agérur, Jean d'|Jean d'Agérur]].
  
 
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Version actuelle en date du 25 juillet 2017 à 09:41

Extrait de / Excerpt from : Contes paillards.


Erreur d’étage, par Jean d'Agérur.

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Mme FOLEQUARD. — Maître, vous êtes trop aimable.

BAUSSIMIER, parlant vivement pour l’empêcher de s'apercevoir qu’elle a fait erreur. — C’est très curieux, vous avez vu, c’est un effet du saisissement.

Mme FOLEQUARD. — Vous devez cependant avoir un certain nombre de jolies clientes ?

BAUSSIMIER. — Quelques-unes ; mais je dois vous avouer qu’il n’en est jamais venu de plus délicieuse.

Mme FOLEQUARD, évidemment flattée. — Cher maître, j’avais entendu parler de vous dans les termes les plus flatteurs...

BAUSSIMIER, à part. — Elle ne me connaît pas, je peux y aller carrément.

Mme FOLEQUARD. — Mais je ne vous savais pas si galant... et si jeune non plus.

BAUSSIMIER. — Et Baptiste ? Je m’étonne que vous n’ayez pas entendu parler de Baptiste ; il est déjà légendaire. L’admiration que lui inspire la beauté féminine produit dans son organisme une secousse telle qu’il se trouve brusquement incapable de se servir de sa langue.

Mme FOLEQUARD. — Vous n’êtes pas comme cela, vous ?

BAUSSIMIER. — Moi, madame, pas du tout... au contraire, si j’ose dire... je ne me sers jamais aussi bien de ma langue que quand je suis profondément troublé par une jolie femme.

Mme FOLEQUARD. — C’est une faculté précieuse... (Baussimier sourit.) Pourquoi souriez-vous ?

BAUSSIMIER. — Parce que je suis de votre avis : c'est, en effet, une faculté des plus précieuses.

Mme FOLEQUARD, continuant. — Et qui vous est indispensable dans l’exercice de votre profession.

BAUSSIMIER. — Indispensable, non ; mais c’est surtout en dehors de ma profession qu’elle m’est utile.

Mme FOLEQUARD. — Comment cela ?

BAUSSIMIER. — Mais oui, pour des exercices d’un tout autre genre.

Mme FOLEQUARD, qui comprend. — Ah ! j’y suis, maintenant, mais je ne me doutais pas que vous pensiez à mal. Vous n’êtes pas sérieux, vraiment.

BAUSSIMIER. — Comment ? pas sérieux ? ne suis-je donc pas dans la question ? Vous venez me consulter au sujet d’un divorce, n’est-ce pas ?

Mme FOLEQUARD. — Comment pouvez-vous savoir ?

BAUSSIMIER. — Je m’en doute : une jolie femme a toujours à se plaindre de son mari, et c’est très heureux pour les autres.

Mme FOLEQUARD. — Vous avez deviné. Mon mari me néglige outrageusement.

BAUSSIMIER. — Il manque d’éloquence ? Sa langue fonctionne mal ? Vous le voyez : nous étions tout à fait dans le sujet.

Mme FOLEQUARD. — Mon cas est très particulier.

BAUSSIMIER. — Entrons-y (avec un sourire), si vous le permettez.

Mme FOLEQUARD. — Mon mari ne s’abstient pas ; mais enfin il espace tellement ses visites qu’il doit y avoir moyen de transformer cet échelonnement en injure grave.

BAUSSIMIER. — Il vous fait jeûner.

Mme FOLEQUARD. — Et le carême dure toute l'année.

BAUSSIMIER. — Il a tort évidemment.

Mme FOLEQUARD, battant des mains. — Il a tort, vous voyez bien ; je gagnerai mon procès.

BAUSSIMIER. — Oh ! cela ne va pas aussi vite.

Mme FOLEQUARD. — Eh bien, fouillez les textes pour y trouver des arguments ; remuez la jurisprudence. Allons, fouillez donc les textes ! (Elle regarde autour d'elle.) Mais, ah çà ! Où sont-ils vos textes ? Je ne vois pas de livres... où mettez-vous votre science ?

BAUSSIMIER, d’un air modeste. — Je porte tout sur moi.

Mme FOLEQUARD. — Qu’est-ce que je vois ? une panoplie ! Que signifie ?

BAUSSIMIER. — C’est le glaive de Thémis. Vous n'êtes pas sans en avoir entendu parler.

Il se précipite à ses pieds, lui embrasse les poignets au-dessus des gants et glisse sa main sous les jupes froufroutantes d’où s’échappe une odeur de verveine.

Mme FOLEQUARD. — Qu’est-ce que vous faites ?

BAUSSIMIER. — Je fouille... les textes... Vous voyez, je fouille.

Mme FOLEQUARD, cherchant à se lever. — Je vous en prie, expliquez-moi la présence de ces armes dans votre cabinet.

BAUSSIMIER. — Je suis officier, là !

Mme Foléquard. — Officier de réserve, sans doute ? pourtant non : Vous manquez complètement de réserve.

BAUSSIMIER. — Ah ! si vous saviez quels trésors de tendresse je tiens en réserve !

Mme FOLEQUARD. — Monsieur ! vous m’avez trompée.

BAUSSIMIER. — Madame, je voudrais vous avoir donné le droit de m’adresser ce reproche.

Mme FOLEQUARD. — Vous n’êtes pas maître de l’Hatapette ?

BAUSSIMIER. — Non, madame ; je ne suis même pas maître des désirs que vous m’inspirez.

Mme FOLEQUARD. — C’est honteux ! Abuser ainsi de mon erreur ! me laisser dévoiler les secrets de mon intimité devant un inconnu !

BAUSSIMIER. — Vous ne m’avez pas laissé finir. Je suis le lieutenant Baussimier. Je me présente ; je ne suis plus un inconnu maintenant.

Mme FOLEQUARD. — Laissez-moi partir puisque je me suis trompée d’étage.

BAUSSIMIER. — Ça ne fait rien.

Il la prend par la taille et la force à se rasseoir sur le divan ; il se remet à genoux devant elle.

Mme FOLEQUARD. — Comment ? Vous voilà encore à genoux ?

BAUSSIMIER. — Cette fois, c’est pour vous demander mon pardon.

Mme FOLEQUARD, toute troublée et mordue d’un désir. — Méritez-le.

BAUSSIMIER. — Permettez-moi d’embrasser vos lèvres et vous verrez que vous me pardonnerez de bon cœur.

Mme FOLEQUARD, fermant les yeux, d’une voix mourante. — Faites. (Un silence, des soupirs ; au bout d’un instant, Mme Foléquard s’agite nerveusement et proteste sans conviction.) Non... je ne vous ai pas permis de m’embrasser à cet endroit-là.

BAUSSIMIER. — Vous m’avez dit : vos lèvres.

Mme FOLEQUARD. — Eh bien ?

BAUSSIMIER. — Je fais comme vous... je me trompe d’étage, voilà tout !



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