Extrait de Notre-Dame de Lesbos

De BiblioCuriosa

Extrait de / Excerpt from : Notre-Dame de Lesbos.


« Lesbie !... » Je suis Lesbie...

Une femme, qui avait des lettres, m’a surnommée, un jour, de la sorte. Cela a suffi. Désormais, on ne me désigne plus autrement. M’en suis-je offensée ? Point. Au contraire. Un vent d’orgueilleuse conquête me soulève et ce surnom, c’est un peu comme un titre de gloire, de triste gloire, dont j’aime à me parer... L’Odéon, que j’ai cependant tant aimé, ne m’intéresse plus. La Guillaumie ne m’y confie que des pannes, les confidentes à perpétuité !

Une seule chose me préoccupe : plaire. Je n’ai qu’un but : être aimée ; qu’un désir : être belle. Je ne crains pas l’amour et je m’en vante.

Etant à toutes, je n’appartiens à aucune, mais, aveugle, je ne me doute pas que je suis à la recherche de cet amour que je défie. Quand je m’en apercevrai, il sera trop tard. J’aurai suivi l’élan de mon impérieux instinct et je succomberai, à mon tour, pantelante victime du crime d’aimer...

Mais avant... Avant ! Comme on m’aura célébrée, comme on m’aura maudite et adorée ! Aux yeux de certaines femmes, j’ai dû rester indéfinissable et mystérieuse comme la Fatalité à laquelle personne n’a le droit d’échapper...

Ombre indifférente, dans combien de lits l’ai-je obscurément cherché, cet amour ?... Combien de fois ai-je balbutié mon inquiétude immense, mon dédaigneux ennui ? Sur combien de bouches mes insatiables lèvres se sont-elles agrafées ?... Sur combien d’yeux ai-je, connaissant le rayonnant orgueil d’être aimée, bu des larmes, me grisant, — après mon délire frénétique et sauvage — de l’ivresse de ma victoire ?... Sur combien de pauvres visages, chavirés d’extase et de luxure, ai-je crié mon éclatant triomphe ? Et quand, bête rassasiée, je quittais mes victimes, c’était pour m’en aller vers d’autres proies encore...

Cet amour insatisfait, cet infâme passé, je ne peux me les rappeler maintenant sans sourire ; ils demeurent une force et une joie que ma plume aime à ressusciter. Je crois, je crois le vivre encore, cet horrible et délicieux passé ! Je le revis puisqu’avec lui je confonds l’heure présente, l’heure insaisissable, qui, déjà, s’enfuit...

Oui, je suis presque leur Reine à toutes !...

Je n’ai qu’à paraître. On m’aime. D’entendre autour de moi leurs murmures d’admiration, je me délecte, jouissant de sentir sur ma peau la convoitise de leurs regards qui me vêtent d’une robe d’infernales caresses.

Je n’ai qu’un signe à faire, un mot à dire. Je choisis. J’ordonne. Dans le royaume du Vice, ma renommée grandit, s’étend, s’accroît... « Dolphi », qui s’est humanisée, bien que je ne sois pas son « genre », au point de m’admettre à partager une nuit ses faveurs avec sa chère Zozo, Dolphi qui a toujours le mot de la situation, a déclaré, péremptoire :

— « Lesbie », c’est la déesse Bath-au-Pieu !... Nous devrions organiser des pèlerinages en son honneur et célébrer Sainte Lesbie, cette vierge impudique que, jamais, ne souilla l’amour d’aucun homme !... Que dis-je, mes petites chattes ? Elle est mieux encore : c’est Notre-Dame de Lesbos !...

C'est chez Andréa Beuve qu’elle me sacre ainsi. Nous sommes là une quinzaine, réunies autour d’un grand feu flambant, dans le salon jaune de cette aimable fille. J’ajoute que nous sommes vêtues de nos seules impudeurs... On fume l’opium. Je préside...

Andréa Beuve, quinquagénaire ardente, donne chez elle, rue de Lille, des « thés » particulièrement recherchés qui, généralement, finissent en orgies et où, toutes, sans exception, nous nous mettons nues... Sur les sophas, sur les tapis, sur les fauteuils bas, sur les coussins amoncelés, à la lueur troublante des bougies qui donne à la peau féminine un reflet que les autres lumières lui refusent, la frénésie du rut nous saisit... Des bouches se nouent. Des seins s’écrasent sur des ventres et les spasmes qui font gémir les unes affolent le désir des autres... Des souffles mêlés halètent, des baisers claquent ; déchirantes et pâmées, des plaintes s’élèvent...

Ce sont les cantiques de Lesbos, l’hymne à Sainte Lesbie, car au milieu d’elles toutes, je me dresse et, devant le feu clair qui m’habille de reflets pourpres, dorés et roses, je dis des vers ou je danse...



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